De nombreux philosophes se sont essayés au sujet de la conscience ; beaucoup la perçoivent comme une activité psychique qui consiste à penser le monde et à se penser soi-même. Dans la vie de tous les jours, on peut distinguer deux manières de penser et de fonctionner, [Les idées et les concepts] en opposition avec [les sentiments et les images]. On peut observer les personnes qui s’attachent aux ressentis, aux émotions et des personnes qui ont davantage une capacité de visualisation et de représentation de choses abstraites telles que le temps et son organisation.
Dans le contexte de ce développement, ce sont les philosophes (qui savent organiser leur pensée) contre les artistes (qui sont dans le ressenti, le corps). Bien que les deux manières de penser puissent admirablement se conjuguer, elles se confrontent constamment, et notamment sur le thème de conscience.
La conscience des artistes
La conscience telle que nous, danseurs, la connaissons n’est autre que la perception des sensations à la manière de la méditation en pleine conscience. C’est un état de conscience totale de notre corps, de nos sensations, de l’espace sonore, du champ visuel et encore bien plus tels que les flux d’énergie, la connexion à notre âme et à l’âme du monde… C’est la conscience des artistes : la perception du monde en images et en sensations. À l’opposé, la conscience des philosophes s’attache à des concepts abstraits, des théories. Pour eux, la conscience est une mise à distance, une prise de recul d’où vient l’expression “prendre conscience”. L’Homme n’est pas comme un objet posé dans le monde mais il se rapporte au monde, il l’analyse, il le pense et il s’y projette. C’est une conscience vivante, en rapport avec l’humain et la respiration contre une conscience froide et observatrice (du moins je le perçois ainsi).
Pour donner un sens à la danse, les images, les sensations et les concepts doivent être mixés dans le mouvement. Il faut comprendre le mouvement pour l’initier et enfin le sentir. Sinon, le mouvement n’est qu’esthétique et on tombe dans le domaine de l’apparence et du jugement. Laissez-moi vous expliquer.
Le processus de création artistique
Toute oeuvre d’art, avant d’être matérialisée, existe et se développe dans l’âme de l’artiste. Il y a bien plus à une sculpture qu’une forme esthétique, il y a une vraie profondeur qui est pensée par l’artiste. Dans le processus de création d’une pièce, le chorégraphe raconte une histoire, ou développe un sentiment ou un concept. Un enchaînement, avant d’être chorégraphié, est pensé. Un même mouvement dansé dans dix pièces différentes sera différent dans chacune d’elles. Il faut d’abord le comprendre pour le danser justement. Il faut être clair dans son esprit sur ce que raconte le mouvement de manière à ne pas l’exécuter uniquement avec le corps. Il faut s’imprégner de sa couleur, de son intensité, de sa vitesse, de sa densité pour raconter la chose le plus justement possible.
Ce processus fait appel à la conscience de l’esprit, tout comme un autre aspect de la danse qui est l’interprétation. Quand on danse une pièce, on la vit. On vibre à la fréquence d’une émotion. Tout son corps doit être traversé par l’énergie de la pièce et doit être transmise au spectateur. C’est ce qui unit un groupe. Si tous les membres du groupe vivent la même chose, le spectateur est transporté dans le monde du chorégraphe et passe un moment incroyable. A l’inverse, une pièce uniquement esthétique même si elle impressionne visuellement ne transmet pas la même chose et est beaucoup moins subtile. C’est ce qui fait de la Joconde ce qu’elle est, avec son regard mystérieux et profond qui transmet une atmosphère si particulière. Tous les visiteurs du musée sont submergés par un sentiment de gêne envers ce personnage à l’histoire uniquement connue par Léonard…
Vient ensuite une intention. Une fois le mouvement compris, il faut définir comment le danser le plus justement possible. Le danseur se pose alors ces questions : Quel est le moteur du mouvement ? Pour une montée de bras : est-ce mon bras, est-ce ma clavicule ou est-ce ma colonne ? Quelle est sa vitesse : lent puis rapide, uniforme, rapide puis lent ? Et encore des milliers d’autres. De cette façon, le danseur effectue un mouvement plus subtil et profond que s’il avait simplement été exécuté avec la forme, pour l’apparence, sans soucis de compréhension et d’intention. Ce concept est prolongé dans mon article sur les méthodes d’enseignement dans la danse classique.
Et enfin, le mouvement est senti, comme on sentirait le goût d’une glace à la fraise, on peut percevoir la saveur d’un mouvement. Pensez-y, vous voyez quelqu’un faire un massage des trapèzes à un ami. Pouvez-vous retrouver la saveur de ces points de pression ? Tout le monde y a déjà goûté dans sa vie. Prenez 2 minutes, fermez vos yeux et ressentez la sensation de ce massage. C’est comme ça que des chorégraphes s’amusent à reproduire 10 fois la même phrase chorégraphique. C’est la même saveur à l’intérieur mais le mouvement extérieur est différent à chaque fois. Prenez par exemple Anne Teresa De Keersmaeker. Dans sa pièce Achterland, le ballet est construit autour d’une dizaines de phrases répétées. Une fois avec les mains, une autre plus petite, une autre gigantesque… C’est subtil mais c’est sans fin. C’est un monde merveilleux qui s’ouvre à nous quand on prend le temps de sentir. Comme évoqué plus haut, la sensation est la conscience du danseur.
Ces réflexions se poursuivent dans un livre auto-édité par Master Danse qui sortira prochainement. Si vous voulez encourager sa production, vous pouvez faire un don à cette adresse. En attendant, je vous laisse sur cette belle citation dont je n’arrive pas à retrouver l’auteur(e) mais que je fais mienne.
L’artiste c’est un individu qui accepte son individualité et qui en fait son atout…